Commentaries
 

Le capitalisme n’est pas une idéologie

Le capitalisme, comme le socialisme et toutes les autres combinaisons entre les deux, n'est finalement qu’un processus pour l’organisation économique d’une société pour son développement et la distribution des richesses.

Quel processus est le mieux pour une société dépendra de ses spécificités économiques, politiques et culturelles et de son niveau de développement. Prenons, par exemple, le cas d’un régime autoritaire dans un pays en voie de développement avec une économie agraire et une population engagée traditionnellement dans le négoce plutôt que dans des entreprises industrielles. Pour développer son infrastructure industrielle le régime aura du mal à s’appuyer sur les capitaux privés des entrepreneurs. Il lui faudra engager les fonds publics et la machine du gouvernement dans ses projets industriels. Par la suite, arrivé à un niveau de développement dynamique et après avoir initié la population à s’engager et d’investir dans les activités industrielles, le régime peut éventuellement introduire l’économie du marché et privatiser les entreprises publiques. 

Dans la démocratie comme régime politique, certaines conditions s’imposent dans le choix des domaines privés et publics et par conséquent dans l’adoption du capitalisme ou du socialisme comme processus économique.  Pour que la démocratie soit véritablement efficace, c.à.d., que les citoyens puissent exercer leurs libertés d’expression, de communication et d’assemblée, les autorités politiques ont l’obligation de veiller à ce que les moyens pour l’exercice de leurs droits politiques soient à la portée des citoyens. A certains niveaux d’économie ceci peut impliquer l’action du gouvernement pour le développement des moyens tel que, par exemple, des voies de communications, que ce soit les routes, les chemins de fers ou les lignes téléphoniques. Dans une économie avancée où les lois de marché et la compétition mettent ces moyens à la disposition de la population plus efficacement que le gouvernement, ce dernier peut se dégager de ces activités, tout en veillant à ce que le mécanisme du marché ne prive pas une partie de la population de ces moyens – par exemple, la suppression des services à une population isolée en raison de non-rentabilité.

La démocratie engendre aussi les droits de l’homme, ce qui implique, entre autres, un certain niveau de dignité et de bien-être. Le locus de responsabilité pour les assurer change selon les structures économico-politique d’une société. Au fur et à mesure que dans la démocratie moderne les charges de l’éducation, du soin et de l’entraide entre les individus et le groupe passent des tribus, des familles et des communautés à «la société», représenté par  «l’état nation », la responsabilité de pourvoir une grande
partie de ces services dévolue à la société. Les autorités publiques sont appelées à veiller à ce que des institutions adéquates soient mises en place afin d’assurer la formation nécessaire à l’épanouissement de l’individu, sa participation dans la vie sociale et son bien-être.  Ainsi se développent des systèmes publics d’éducation, d’assurance maladie, et de sécurité sociale. 

Il est vrai qu’un engagement trop étendu du gouvernement dans les services sociaux risque de produire l’état providence que les fainéants peuvent abuser, entravant ainsi l’efficacité de l’économie. Certaines sociétés démocratiques économiquement avancées, tel que les Etats-Unis, favorisent le secteur privé comme pourvoyeur de ces services. Mais dans ces cas les lois de marché peuvent nuire à l’accès équitable des citoyens à ces services. Par exemple, malgré le fait qu’aux Etats Unis les dépenses nationales par tête d’habitant dans le secteur de la santé sont deux fois plus qu’en France, trente-neuf millions d’Américain n’ont pas d’assurance maladie.

Pour apprécier les variations dans l’appel aux secteurs publics ou privés et l’adoption des méthodes capitaliste ou socialiste dans les différentes démocraties, il nous faut injecter le facteur culturel dans les dimensions économico-politique. Il y a des concepts dont l’analyse en dit long sur les spécificités culturelles d’une société. Prenons, par exemple, la notion de l’égalité dans les cultures américaine et française. Aux Etats-Unis, au-delà de sa signification juridique, celle d’égalité devant la loi, elle a un côté mythologique, celui de l’égalité d’opportunité – « le rêve américain », the Horatio Alger Myth. Dans une large mesure,
les Américains attendent de leur gouvernement à ne pas se mêler trop dans leurs affaires pour qu’ils puissent tenter leurs chances un peu dans l’esprit de Wild West. En France, de ses origines révolutionnaires, l’égalité a évoluée vers la justice sociale et l’aspiration des citoyens à un niveau de vie décent qu’ils réclament par leurs revendications sociales et défendent farouchement en tant qu’acquis sociaux dont ils tiennent le gouvernement pour garant.

Avec une foi d’idéologue, les puristes du capitalisme américain veulent appliquer le capitalisme à ce qui, par principe, n’en fait pas partie. Ils proposent d’investir les fonds de la sécurité sociale dans des titres boursiers. Ils encouragent tout le monde à investir leurs épargnes dans des actions boursières.  Mais tout le monde n’est pas mû par l’esprit de gain. Il y a ceux qui font de l’art par l’amour de l’art, ceux qui font de la recherche pour le frisson de la découverte. C’est faire tort au développement culturel et intellectuel de la société que de distraire les chercheurs, les artistes et d’autres corps de métier de leurs occupations et les inciter à suivre les mouvements boursiers. 

L’économie mondiale doit se développer en harmonie avec les différences culturelles. La guerre froide est finie depuis longtemps. Il est temps de cesser de considérer le capitalisme américain comme une idéologie, d’ailleurs pleine d’aberrations – des tarifs et subventions protectrices aux comptabilités douteuses. Certes, le capitalisme motive les membres de la société d’agir par ambition, avidité et esprit d’entreprise. Ce qui contribue au développement d’une économie avec moins de vices bureaucratiques de l’état. Mais il engendre l’exploitation d’autrui et ne fourni pas à tous les citoyens les moyens d’exercer leurs droits démocratiques. L’autoroute à péage c’est bien, mais il faut maintenir la route nationale. Il y a assez d’indices exposés ici pour élaborer une « liste de vérification » – un check list – qu’un état démocratique peut suivre pour établir les domaines d’activités qu’il doit assumer et ceux qu’il peut laisser au mécanisme du marché et l’initiative des entreprises privées. En somme, paraphrasant Victor Hugo, mettez toujours du capitalisme (ou du socialisme) dans votre système économique, seulement, mesurez la dose.

Anoush Khoshkish
Juillet 2001

Index Articles Commentaries Links
Contact us at: editor@globalpoliticaleconomy.com